jamais
ne s’interrompt
le flux
et nous glissons glissons
emportés par des eaux
lentes et noires
qui menacent
à tout instant
de nous engloutir
comment n’être pas
cet esquif qui dérive
ni ce rocher
que contourne le fleuve
abandonne-toi
laisse aller ta barque
au gré du courant
fais confiance
à ce qui t’emporte
et te berce
***
Charles Juliet (né en 1934 à Jujurieux) – Une joie secrète (Voix d’encre, 2007)
Merci beauty will save the world
Respire – Valhere
Je marche en équilibre,
Sur des lignes électriques,
Regarde la ville tout en bas,
Sans quoi plus rien n’existe
Tu pleures toujours à cause de moi
J’mets de l’apnée sur la ville là-dessous
Debout sur la pointe des piedsRespire, respire, respire
Attends, pour moi.
Tu contrôles ma déraison
Mais ne peux rien faire,
Ma maison, ma prison, ça m’indiffère,
J’mets comme des missions tout au bout de mes pistes,
J’fais des listes, de mes questions
J’mets des effets sur vos vies là-dessous,
Des sous dans vos porte-monnaie,
Respire, respire, respire,
Attends, pour moi.
Je marche en équilibre,
Et des fils romantiques,
Pour toi, rien que pour toi, tout en bas
Mesure le gout de mes risques,
Sans toi, moi, je n’existe pas
Je pleurs toujours à cause de toi
J’mets de l’apnée sur la vie là-dessous
Debout il me semble tomber
Respire, respire, respire,
Attends… respire…
Attends,
Pour moi.
Alda Merini – Après tout même toi
Après tout même toi
que je devrais sentir ennemi
et que je pardonne.
Tu es seulement un homme
qui essaie de comprendre
et de ne comprendre personne.
Ta générosité
est aussi fausse que la mienne.
Aucun de nous
n’est assez bon
pour faire sortir
les miracles des vers.
Aucun de nous
n’est assez pur
pour les oublier
à jamais.
Alda Merini (1931-2009) – Après tout même toi/Dopo tutto anche tu (Oxybia Ėditions, 2009) – Traduit de l’italien par Patricia Dao.
Merci à Beauty will save the world
Daniel Biga – Va
Va
paupières closes
savourant une barque pourpre
éclats d’or sur le bleu marin
l’éternité est ce qui dure le moins
tant que je pourrai marcher je marcherai
vers le cabanon dans les collines
finda la maïoun d’oun eravan tan ben
Daniel Biga – Stations du chemin – Poésie 1983-1987
Natsume Sōseki – Sans savoir pourquoi…
Sans savoir pourquoi
j’aime ce monde
où nous venons pour mourir
Natsume Sōseki (Edo, 1867 – Tokyo, 1916)
Merci Beauty will save the world
Loic Lantoine – Jour de lessive
Jour de lessive
Texte de Gaston Couté
je suis parti ce matin même
encore saoul de la nuit mais pris
comme d’écœurement suprême
crachant mes adieux à paris
et me voilà ma bonne femme
oui foutu comme quatre sous
mon linge est sale aussi mon âme
me voilà chez nous
ma pauvre mère est en lessive
maman maman
maman ton mauvais gâs arrive
au bon moment
voici ce linge où goutta maintes
et maintes fois un vin amer
où des garces aux lèvres peintes
ont torché leurs bouches d’enfer
et voici mon âme plus grise
des mêmes souillures – hélas !
que le plastron de ma chemise
gris,rose et lilas
au fond du cuvier où l’on sème
parmi l’eau la cendre du four
que tout mon linge de bohême
repose durant tout un jour
et qu’enfin mon âme, pareille
a ce déballage attristant
parmi ton âme – ô bonne vieille
repose un instant
tout comme le linge confie
sa honte à la douceur de l’eau
quand je t’aurai conté ma vie
malheureuse d’affreux salaud
ainsi qu’on rince à la fontaine
le linge au sortir du cuvier
mère, arrose mon âme en peine
d’un peu de pitié
et lorsque tu viendras étendre
le linge d’iris parfumé
tout blanc parmi la blancheur tendre
de la haie où fleurit le mai
je veux voir mon âme encore pure
en dépit de son long sommeil
dans la douleur et dans l’ordure
revivre au soleil
Shuntarō Tanikawa – Vivre
Vivre,
vivre maintenant, signifie
devenir assoiffé,
être ébloui par le soleil filtrant entre les feuilles d’arbre,
se souvenir subitement d’une mélodie,
éternuer,
vous donner la main.
Vivre,
vivre maintenant, signifie
les mini-jupes,
les planétariums,
Johann Strauss,
Picasso,
les Alpes,
rencontrer toutes sortes de belles choses,
et
rejeter prudemment le mal caché.
Vivre,
vivre maintenant, signifie
pouvoir pleurer,
pouvoir rire,
pouvoir se fâcher,
être libre.
Vivre,
vivre maintenant, signifie
maintenant un chien aboie au loin,
maintenant la terre tourne,
maintenant quelque part le premier cri d’un bébé,
maintenant quelque part un soldat est blessé,
maintenant une balançoire se balance,
maintenant “maintenant” passe.
Vivre,
vivre maintenant, signifie
un oiseau bat des ailes,
la mer tonne,
un escargot rampe,
des gens aiment,
la chaleur de vos mains,
la vie elle-même.
Shuntarō Tanikawa (Tokyo, Japon, 1931)
Merci parce que Beauty will save the world
Ivan Bounine – Sur un rocher sous le ciel…
Sur un rocher sous le ciel, où les tourmentes
Sifflent dans l’azur éblouissant
Est le gîte solitaire et fétide d’un aigle.
Je bois comme une eau glacée
La tourmente des cimes, la liberté,
L’éternité qui vole en ce lieu.
Ivan Bounine (Voronej, Russie, 1870 – Paris , 1953) – Mon cœur pris par la tombe (Orphée, La Différence, 1992) – Traduit du russe par Madeleine de Villaine
Merci à Beauty will save the world
Edna St. Vincent Millay – Première figure
Ma bougie brûle par les deux bouts ;
Elle ne passera pas la nuit ;
Mais ah, mes ennemis, et oh, mes amis —
Elle donne une belle lumière !
Edna St. Vincent Millay (Rockland, Maine, 1892-Austerlitz, New York, 1950) – A Few Figs from Thistles (1920)
Merci
Pierre Jean Jouve – Le désespoir a des ailes
Le désespoir a des ailes
L’amour a pour aile nacrée
Le désespoir
Les sociétés peuvent changer
Pierre Jean Jouve (1887-1976) – Oeuvres poétiques – Sueur de sang (NRF, 1935) – Despair Has Wings: Selected Poems (Enitharmon, 2007) – Translated by David Gascoyne
Merci à Beauty will save the world