André Laude – Sommes-nous vivants ?
Sommes-nous vivants
Sommes-nous faits de fer et sang
Sommes- nous fait d’eau et vents
Sommes-nous clones du néant
où est le feu de nos membres
Mes doigts de nicotine bougent encore
Ma rage intacte brise les serrures
Une longue maladie dévore mon corps
Mon âme est un moine en robe de bure
Sommes-nous vivants.
J’entends le doux rire de l’ami Cioran
rue de l’Odéon crépuscule de nombre
La chute dans le temps
et la tonique écriture.
André Laude (Paris, 1936-1995) – Poème inédit
Jean-Michel Caradec – A Kernoa / Les oiseaux volaient à l’envers
Les Oiseaux Volaient à L’envers
Jean Michel Caradec
Le ciel était couleur de sang
Et, se levant à l’horizon,
Le soleil semblait être blanc
Je ne sais plus bien la saison
Pourtant, je m’en souviens très bien
Tout comme si c’était hier
Je les ai vus venir de loin
Les oiseaux volaient à l’envers
Je devais t’emmener au bal
Ton père n’avait pas voulu
Je n’étais pas son idéal
Je n’étais pas le bienvenu
J’étais revenu par les bois
Le ciel était déchiré d’orages
Et je les ai vus devant moi
Les oiseaux volaient à l’envers
Depuis, les choses ont changé
La mémoire se joue de nous
Pourtant, je ne n’ai rien oublié
De cette nuit, des oiseaux fous
Je revois souvent ce jour-là
Tout comme si c’était hier
Ils me tourmentent, ils sont là
Les oiseaux volaient à l’envers
Le ciel devient couleur de sang
Je vois devant moi l’horizon
Le soleil me semble être blanc
J’oublie le jour et la saison
Mes yeux sont brouillés par la pluie
Et mes mains tremblent de colère
Le jour, soudain, devient la nuit
Les oiseaux volaient à l’envers
Nìkos Karoùzos – Bref
Je chante les ancêtres déchus
des étoiles je suis le chien
mes yeux regardent vers le haut
mes mains célèbrent la boue.
Σύντομον
Τραγουδώ τους πεσμένους προπάτορες
Είμαι των άστρων ο σκύλος
με τα μάτια κοιτάζω ψηλά
με τα χέρια γιορτάζω τη λάσπη.
Alexis HK – Les trompettes de la renommée
Je vivais à l’écart de la place publique,
Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique…
Refusant d’acquitter la rançon de la gloir’,
Sur mon brin de laurier je dormais comme un loir.
Les gens de bon conseil ont su me fair’ comprendre
Qu’à l’homme de la ru’ j’avais des compt’s à rendre
Et que, sous peine de choir dans un oubli complet,
J’ devais mettre au grand jour tous mes petits secrets.
Trompettes
De la Renommée,
Vous êtes
Bien mal embouchées !
Manquant à la pudeur la plus élémentaire,
Dois-je, pour les besoins d’ la caus’ publicitaire,
Divulguer avec qui, et dans quell’ position
Je plonge dans le stupre et la fornication ?
Si je publi’ des noms, combien de Pénélopes
Passeront illico pour de fieffé’s salopes,
Combien de bons amis me r’gard’ront de travers,
Combien je recevrai de coups de revolver !
A toute exhibition, ma nature est rétive,
Souffrant d’un’ modesti’ quasiment maladive,
Je ne fais voir mes organes procréateurs
A personne, excepté mes femm’s et mes docteurs.
Dois-je, pour défrayer la chroniqu’ des scandales,
Battre l’ tambour avec mes parti’s génitales,
Dois-je les arborer plus ostensiblement,
Comme un enfant de ch?ur porte un saint sacrement ?
Une femme du monde, et qui souvent me laisse
Fair’ mes quat’ voluptés dans ses quartiers d’ noblesse,
M’a sournois’ment passé, sur son divan de soi’,
Des parasit’s du plus bas étage qui soit…
Sous prétexte de bruit, sous couleur de réclame,
Ai-j’ le droit de ternir l’honneur de cette dame
En criant sur les toits, et sur l’air des lampions :
» Madame la marquis’ m’a foutu des morpions ! » ?
Le ciel en soit loué, je vis en bonne entente
Avec le Pèr’ Duval, la calotte chantante,
Lui, le catéchumène, et moi, l’énergumèn’,
Il me laisse dire merd’, je lui laiss’ dire amen,
En accord avec lui, dois-je écrir’ dans la presse
Qu’un soir je l’ai surpris aux genoux d’ ma maîtresse,
Chantant la mélopé’ d’une voix qui susurre,
Tandis qu’ell’ lui cherchait des poux dans la tonsure ?
Avec qui, ventrebleu ! faut-il que je couche
Pour fair’ parler un peu la déesse aux cent bouches ?
Faut-il qu’un’ femme célèbre, une étoile, une star,
Vienn’ prendre entre mes bras la plac’ de ma guitar’ ?
Pour exciter le peuple et les folliculaires,
Qui’est-c’ qui veut me prêter sa croupe populaire,
Qui’est-c’ qui veut m’ laisser faire, in naturalibus,
Un p’tit peu d’alpinism’ sur son mont de Vénus ?
Sonneraient-ell’s plus fort, ces divines trompettes,
Si, comm’ tout un chacun, j’étais un peu tapette,
Si je me déhanchais comme une demoiselle
Et prenais tout à coup des allur’s de gazelle ?
Mais je ne sache pas qu’ça profite à ces drôles
De jouer le jeu d’ l’amour en inversant les rôles,
Qu’ça confère à ma gloire un’ onc’ de plus-valu’,
Le crim’ pédérastique, aujourd’hui, ne pai’ plus.
Après c’tour d’horizon des mille et un’ recettes
Qui vous val’nt à coup sûr les honneurs des gazettes,
J’aime mieux m’en tenir à ma premièr’ façon
Et me gratter le ventre en chantant des chansons.
Si le public en veut, je les sors dare-dare,
S’il n’en veut pas je les remets dans ma guitare.
Refusant d’acquitter la rançon de la gloir’,
Sur mon brin de laurier je m’endors comme un loir.
Georges Charles Brassens
Au bois de mon coeur
Au bois de mon coeur
Georges Brassens
Au bois d’Clamart y a des petit’s fleurs
Y a des petit’s fleurs
Y a des copains au, au bois d’mon cœur
Au, au bois d’mon cœur
Au fond de ma cour j’suis renommé
J’suis renommé
Pour avoir le cœur mal famé
Le cœur mal famé
Au bois d’Vincenn’s y a des petit’s fleurs
Y a des petit’s fleurs
Y a des copains au, au bois d’mon cœur
Au, au bois d’mon cœur
Quand y a plus d’vin dans mon tonneau
Dans mon tonneau
Ils n’ont pas peur de boir’ mon eau
De boire mon eau
Au bois d’Meudon y a des petit’s fleurs
Y a des petit’s fleurs
Y a des copains au, au bois d’mon cœur
Au, au bois d’mon cœur
Ils m’accompagn’nt à la mairie
A la mairie
Chaque fois que je me marie
Que je me marie
Au bois d’Saint-Cloud y a des petit’s fleurs
Y a des petit’s fleurs
Y a des copains au, au bois d’mon cœur
Au, au bois d’mon cœur
Chaqu’ fois qu’je meurs fidèlement
Fidèlement
Ils suivent mon enterrement
Mon enterrement
…des petites fleurs…
Au, au bois d’mon cœur…
Georges Brassens : Supplique pour être enterré à la plage de Sète.
Supplique pour être enterré à la plage de Sète.
La Camarde qui ne m’a jamais pardonné
D´avoir semé des fleurs dans les trous de son nez
Me poursuit d’un zèle imbécile
Alors cerné de près par les enterrements
J´ai cru bon de remettre à jour mon testament
De me payer un codicille
Trempe dans l’encre bleue du Golfe du Lion
Trempe, trempe ta plume, à mon vieux tabellion
Et de ta plus belle écriture
Note ce qu’il faudra qu’il advint de mon corps
Lorsque mon âme et lui ne seront plus d’accord
Que sur un seul point, la rupture
Quand mon âme aura pris son vol à l’horizon
Vers celle de Gavroche et de Mimi Pinson
Celles des titis, des grisettes
Que vers le sol natal mon corps soit ramené
Dans un sleeping du Paris-Méditerranée
Terminus en gare de Sète
Mon caveau de famille, hélas! n’est pas tout neuf
Vulgairement parlant, il est plein comme un œuf
Et d’ici que quelqu’un n’en sorte
Il risque de se faire tard et je ne peux
Dire à ces braves gens, poussez-vous donc un peu
Place aux jeunes en quelque sorte
Juste au bord de la mer à deux pas des flots bleus
Creusez si c’est possible un petit trou moelleux
Une bonne petite niche
Auprès de mes amis d’enfance, les dauphins
Le long de cette grève où le sable est si fin
Sur la plage de la corniche
C’est une plage où même à ses moments furieux
Neptune ne se prend jamais trop au sérieux
Où quand un bateau fait naufrage
Le capitaine crie « Je suis le maître à bord!
Sauve qui peut, le vin et le pastis d’abord
Chacun sa bonbonne et courage »
Oh, et c’est là que jadis à quinze ans révolus
A l’âge où s’amuser tout seul ne suffit plus
Je connu la prime amourette
Auprès d’une sirène, une femme-poisson
J’ai reçu de l’amour la première leçon
Avalait la première arête
Déférence gardée envers Paul Valéry
Moi l’humble troubadour sur lui je renchéris
Le bon maître me le pardonne
Et qu’au moins si ses vers valent mieux que les miens
Mon cimetière soit plus marin que le sien
N’en déplaise aux autochtones
Cette tombe en sandwich entre le ciel et l’eau
Ne donnera pas une ombre triste au tableau
Mais un charme indéfinissable
Les baigneuses s’en serviront de paravent
Pour changer de tenue et les petits enfants
Diront, chouette, un château de sable!
Est-ce trop demander, sur mon petit lopin
Planter, je vous en prie une espèce de pin
Pin parasol de préférence
Qui saura prémunir contre l´insolation
Les bons amis venus faire sur ma concession
D’affectueuses révérences
Tantôt venant d’Espagne, tantôt d’Italie
Tous chargés de parfums, de musiques jolies
Le Mistral, la Tramontane
Sur mon dernier sommeil verseront les échos
De villanelle, un jour, un jour de fandango
De tarentelle, de sardane
Et quand prenant ma butte en guise d’oreiller
Une ondine viendra gentiment sommeiller
Avec moins que rien de costume
J’en demande pardon par avance à Jésus
Si l’ombre de sa croix s’y couche un peu dessus
Pour un petit bonheur posthume
Pauvres rois pharaons, pauvre Napoléon
Pauvres grands disparus gisant au Panthéon
Pauvres cendres de conséquence
Vous envierez un peu l’éternel estivant
Qui fait du pédalo sur la vague en rêvant
Qui passe sa mort en vacances
Georges Brassens
Je voudrais pas crever – Daniel Mille / Boris Vian
Je voudrais pas crever
Avant d’avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d’argent
Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un coté pointu
Si le soleil est froid
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre
Sans avoir essayé
De porter une robe
Sur les grands boulevards
Sans avoir regardé
Dans un regard d’égout
Sans avoir mis mon zobe
Dans des coinstots bizarres
Je voudrais pas finir
Sans connaître la lèpre
Ou les sept maladies
Qu’on attrape là-bas
Le bon ni le mauvais
Ne me feraient de peine
Si si si je savais
Que j’en aurai l’étrenne
Et il y a z aussi
Tout ce que je connais
Tout ce que j’apprécie
Que je sais qui me plaît
Le fond vert de la mer
Où valsent les brins d’algues
Sur le sable ondulé
L’herbe grillée de juin
La terre qui craquelle
L’odeur des conifères
Et les baisers de celle
Que ceci que cela
La belle que voilà
Mon Ourson, l’Ursula
Je voudrais pas crever
Avant d’avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J’en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux
Je voudrais pas mourir
Sans qu’on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur
Les journaux en couleur
Tous les enfants contents
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs
Des jardiniers joviaux
Des soucieux socialistes
Des urbains urbanistes
Et des pensifs penseurs
Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir
Et moi je vois la fin
Qui grouille et qui s’amène
Avec sa gueule moche
Et qui m’ouvre ses bras
De grenouille bancroche
Je voudrais pas crever
Non monsieur non madame
Avant d’avoir tâté
Le goût qui me tourmente
Le goût qu’est le plus fort
Je voudrais pas crever
Avant d’avoir goûté
La saveur de la mort…
Boris Vian
Antonia Pozzi – Cri
Ne pas avoir de Dieu
ne pas avoir de tombe
ne rien avoir de fixe
mais que des choses vives qui échappent
être sans passé
être sans futur
et s’aveugler dans le néant –
à l’aide –
pour la misère
qui n’a pas de fin –
Antonia Pozzi (Milan, Italie 1912–1938) – Mots (Parole, 1939) Peter Lang Editeur (2010) – Traduit de l’italien par Ettore Labbate – – Translated by A. Iacovoni
Hélène Cadou – Pour apprivoiser l’ombre…
Hélène Cadou – Pour apprivoiser l’ombre…
Pour apprivoiser l’ombre
Il me suffit d’un arbre
Pour approuver le vent
Il me suffit d’une herbe
D’un souvenir
Pour que le ciel s’éclaire
De ton regard
Pour donner un sens au monde.
Hélène Cadou (1922-2014) – Retour à l’été (1993)
Etienne Daho – Sur Mon Cou
En 2001, lors du « Tour de l’été sans fin », Etienne Daho interprète « Sur mon cou », la mise en musique par Hélène Martin d’un poème de Jean Genet.
Le condamné à mort
Sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou
Que ma main plus lègère et grave qu’une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cur s’émeuve,
Laisse tes dents poser leur sourire de loup.
Ô viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d’Espagne
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main
Mène-moi loin d’ici battre notre campagne.
Le ciel peut s’éveiller, les étoiles fleurir,
Ni les fleurs soupirer, et des près l’herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.
Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.
Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.
Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.
Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !
Traverse les couloirs, descends, marche léger,
Vole dans l’escalier plus souple qu’un berger,
Plus soutenu par l’air qu’un vol de feuilles mortes.
Ô traverse les murs, s’il le faut marche au bord
Des toits, des océans, couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,
Mais viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.