Saturne – Philippe Léotard

Saturne – Georges Brassens
Il est morne, il est taciturne
Il préside aux choses du temps
Il porte un joli nom, Saturne
Mais c’est un Dieu fort inquiétant
Il porte un joli nom, Saturne
Mais c’est un Dieu fort inquiétant
En allant son chemin, morose
Pour se désennuyer un peu
Il joue à bousculer les roses
Le temps tue le temps comme il peut
Il joue à bousculer les roses
Le temps tue le temps comme il peut
Cette saison, c’est toi, ma belle
Qui a fait les frais de son jeu
Toi qui a payé la gabelle
Un grain de sel dans tes cheveux
Toi qui a payé la gabelle
Un grain de sel dans tes cheveux
C’est pas vilain, les fleurs d’automne
Et tous les poètes l’ont dit
Je te regarde et je te donne
Mon billet qu’ils n’ont pas menti
Je te regarde et je te donne
Mon billet qu’ils n’ont pas menti
Viens encore, viens ma favorite
Descendons ensemble au jardin
Viens effeuiller la marguerite
De l’été de la Saint-Martin
Viens effeuiller la marguerite
De l’été de la Saint-Martin
Je sais par cœur toutes tes grâces
Et pour me les faire oublier
Il faudra que Saturne en fasse
Des tours d’horloge, de sablier
Et la petite pisseuse d’en face
Peut bien aller se rhabiller…

La ligne Holworth – Greame Allwright

Ted Holworth était un notable
Dont l’argent venait de la mer
Tous les paroissiens respectables
Admiraient sa piété de fer
Sans doute il ne confondait guère
Les affaires et les sentiments
Mais sa parole était sincère
C’est du moins ce que disaient les gens
Il avait tout d’un homme honnête
Mais il faut vous dire la vérité
Il était noir sous l’étiquette
Et ses bateaux étaient damnés.
Ils transportaient aux antipodes
Des hommes attachés par le pied
Bagnards de sang et de maraude
Et criminels de majesté.
Ils avaient offensé la Reine
Ou bien massacre pour voler
Mais ils tiraient à la même chaîne
Que des innocents humiliés {2x}
Ceux-là s’en allaient vers l’enfer
Pour un crime abominé
Ils n’avaient pas voulu se taire
Par amour de la vérité}.
La coque était puante et noire
Les gardiens comme des loups
Tant de misère, de désespoir
Avaient de quoi vous rendre fou.
Depuis les temps ont bien changé
La Ligne Holworth a fait peau neuve
Elle est très bien considérée
Sa réussite est un chef d’œuvre {2x}
Il n’y a plus de bagnards dans les cales
Mais les marins crient comme avant
Sous son pavillon triomphal
Elle transporte des émigrants

Comme un avion sans aile – Charlélie Couture

Comme un avion sans aile,
j’ai chanté toute la nuit,
j’ai chanté pour celle,
qui m’a pas cru toute la nuit
Même si j’peux pas m’envoler,
j’irai jusqu’au bout,
oh oui, je veux jouer
même sans les atouts.
Tu fais semblant de regarder ailleurs,
tu dis même que j’te fais peur,
pourtant tu sais j’tiens plus d’bout,
aussi crevé qu’un danseur.
Oh, il fait lourd, grande, grande nuit blanche
grande grande nuit d’orage,
le tonnerre gronde
mais y a pas d’éclair
Ecoute la voix du vent
qui glisse, glisse sous la porte,
écoute on va changer de lit, changer d’amour
changer de vie, changer de jour
Et même, même si tu fais plus rien,
tu vois moi j’aboierai encore…
mais tu t’endors sous mon piano,
quand je joue faux
Oh libellule,
toi, t’as les ailes fragiles,
moi, moi j’ai les ailes fragiles,
moi, moi j’ai la carlingue froissée
mais j’ai chanté toute la nuit.

Gérard Manset – Comme un guerrier

Comme un Guerrier

Gérard Manset
Comme un guerrier
Qui perd son bras,
Son œil au combat,
A chercher le choc,
Fendre le roc
Comme un guerrier qui tombe.
Un pied dans la tombe,
On se fait mal
Et sifflent les balles,
Le vent, la mitraille,
Le pont, les rails.
Dessous la riviêre
Rapide et fière
Rapide et fière.
Une barque t’attend
Et l’indienne est dedans
Avec ses cheveux noirs,
Ses dents d’ivoire.
On a rien à se dire.
Ensemble, on va fuir,
Ensemble, on va fuir.
Comme un guerrier,
Le crâne bandé,
Qu’a plus qu’une heure à vivre
Sur la toile du sac,
Quand la fiêvre monte
Au fond du hamac,
C’est comme un guerrier qui raconte sa vie.
Nous prendrons nos fusils,
Marcherons sur l’Asie
Afin de voir s’ils sont heureux,
Afin de voir s’ils sont heureux.
Comme un guerrier,
Condamné, condamné,
Le crâne rasé,
Sous la pluie, l’averse,
Y a le pont qui traverse.
Dessous la riviêre,
Rapide et fière.
La barque t’attend
Et l’indienne est dedans
Avec les fusils,
De la poudre et du plomb.
Et y a le garçon blond
Qu’on traîne avec soi
Malgré ses cheveux de soie.
Nous prendrons nos fusils.
Nous savons nous battre aussi
Afin de voir s’ils sont heureux,
Afin de voir s’ils sont heureux.
Comme un guerrier
Qui perd son bras,
Son œil au combat
Mais quand tu t’éveilles,
Que tu vois la bouteille,
La lampe brisée
Sous la moustiquaire,
Alors, t’as perdu la guerre
Et l’indienne est partie.
Elle a jamais vu la mer.
Tu lui avais promis.
Elle en a marre de la misère.
Elle voulait voir les lumières de la ville.
Elle voulait voir les lumières de la ville.
Comme un guerrier
Condamné, condamné,
Avec son œil de verre
Mangé par les vers,
Percé de flêches empoisonnées,
Condamné, condamné,
Avec les ailes brisées.
Tu resteras seul
Avec des mouches plein la gueule,
Les semelles collées
Tu sentiras dans ton dos
Glisser les anneaux
Du serpent froid
Ce s’ra la derniêre fois.
Sur la grande riviêre,
Le paradis sur la Terre.
T’as l’indienne qui court,
Qui hurle à l’amour,
Aux pierres aux ronces,
Et qu’a pas de réponse,
Et qu’a pas de réponse.
Alors, tu te sens si vieux,
La main devant les yeux.
Le mal te guette
Et ce soir peut-être,
Sous le million d’étoiles,
A pleurer sur le sac de toile,
A pleurer sur le sac de toile

Olivier Chabasse – Le Coq et la Pendule

Le Coq et la Pendule

Claude Nougaro
Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule
Tous les goûts sont dans la nature…
D’ailleurs ce coq avait bon goût
Car la pendule était fort belle
Et son tic tac si doux si doux
Que le temps ne pensait surtout
Qu’à passer son temps auprès d’elle
Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule
De l’aube jusqu’au crépuscule
Et même la nuit comme un hibou
L’amour le rendant coqtambule
Des cocoricos plein le cou
Le coq rêvait à sa pendule
Du Poitou
Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule
Ça faisait des conciliabules
Chez les cocottes en courroux
 » Qu’est ce que c’est que ce coq, ce cocktail,
Ce drôle d’oiseau, ce vieux coucou
Qui nous méprise et qui ne nous
Donne jamais un petit coup dans l’aile ?  »
Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule
Ah, mesdames, vous parlez d’un jules !
Le voilà qui chante à genoux:
 » Ô ma pendule je t’adore
Ah ! laisse moi te faire la cour,
Tu es ma poule aux heures d’or
Mon amour  »
Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule
Il est temps de venir à bout
De cette fable ridicule,
De cette crête à testicules
Qui chante l’aurore à minuit
 » Il avance ou bien je recule  »
Se disait notre horlogerie
Qui trottinait sur son cadran
Du bout de ses talons aiguilles
En écoutant son don Juan
Lui seriner sa séguedille
Pour imaginer son trépas
Point n’est besoin d’être devin
La pendule sonne l’heure du repas
Coq au vin
Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule

Alain Bashung – Les mots bleus

Les mots bleus
Paroles: Christophe
Il est six heures au clocher de l’église
Dans le square les fleurs poétisent
Une fille va sortir de la mairie
Comme chaque soir je l’attends
Elle me sourit
Il faudrait que je lui parle
A tout prix
Je lui dirai les mots bleus
Les mots qu’on dit avec les yeux
Parler me semble ridicule
Je m’élance et puis je recule
Devant une phrase inutile
Qui briserait l’instant fragile
D’une rencontre
D’une rencontre
Je lui dirai les mots bleus
Ceux qui rendent les gens heureux
Je l’appellerai sans la nommer
Je suis peut-être démodé
Le vent d’hiver souffle en avril
J’aime le silence immobile
D’une rencontre
D’une rencontre
Il n’y a plus d’horloge, plus de clocher
Dans le square les arbres sont couchés
Je reviens par le train de nuit
Sur le quai je la vois
Qui me sourit
Il faudra bien qu’elle comprenne
A tout prix
Je lui dirai les mots bleus
Les mots qu’on dit avec les yeux
Toutes les excuses que l’on donne
Sont comme les baisers que l’on vole
Il reste une rancœur subtile
Qui gâcherait l’instant fragile
De nos retrouvailles
De nos retrouvailles
Je lui dirai les mots bleus
Ceux qui rendent les gens heureux
Une histoire d’amour sans paroles
N’a plus besoin du protocole
Et tous les longs discours futiles
Terniraient quelque peu le style
De nos retrouvailles
De nos retrouvailles
Je lui dirai les mots bleus
les mots qu’on dit avec les yeux
Je lui dirai tous les mots bleus
Tous ceux qui rendent les gens heureux
Tous les mots bleus

Les Lettres – Maxime Le Forestier

Avril 1912, ma femme, mon amour
Un an s’est écoulé depuis ce mauvais jour où j’ai quitté ma terre.
Je suis parti soldat comme on dit maintenant.
Je reviendrai te voir, d’abord de temps en temps
Puis pour la vie entière.
Je ne pourrai venir sans doute avant l’été.
Les voyages sont longs quand on les fait à pied.
As-tu sarclé la vigne?
Ne va pas la laisser manger par les chardons.
Le voisin prêtera son cheval aux moissons, écris-moi quelques lignes.
Hiver 1913, mon mari, mon amour
Tu ne viens pas souvent, sans doute sont trop courts
Les congés qu’on te donne
Mais je sais que c’est dur, cinquante lieues marchant
Pour passer la journée à travailler aux champs, alors, je te pardonne.
Les vieux disent qu’ici, cet hiver sera froid.
Je ne sens pas la force de couper du bois, j’ai demandé au père.
Il en a fait assez pour aller en avril
Mais penses-tu vraiment, toi qui es à la ville
Que nous aurons la guerre?
Août 1914, ma femme, mon amour
En automne au plus tard, je serai de retour pour fêter la victoire.
Nous sommes les plus forts, coupez le blé sans moi.
La vache a fait le veau, attends que je sois là pour le vendre à la foire.
Le père se fait vieux, le père est fatigué.
Je couperai le bois, prends soin de sa sant, je vais changer d’adresse.
N’écris plus, attends-moi, ma femme, mon amour
En automne au plus tard je serai de retour pour fêter la tendresse.
Hiver 1915, mon mari, mon amour
Le temps était trop long, je suis allée au bourg
Dans la vieille charrette.
Le veau était trop vieux, alors je l’ai vendu
Et j’ai vu le vieux Jacques, et je lui ai rendu le reste de nos dettes.
Nous n’avons plus un sou, le père ne marche plus.
Je me débrouillerai, et je saurai de plus en plus être économe
Mais quand tu rentreras diriger ta maison
Si nous n’avons plus rien, du moins nous ne devrons
Plus d’argent à personne.
Avril 1916, ma femme, mon amour
Tu es trop généreuse et tu voles au secours
D’un voleur de misères
Bien plus riche que nous. Donne-lui la moitié.
Rendre ce que l’on doit, aujourd’hui, c’est jeter l’argent au cimetière.
On dit que tout cela pourrait durer longtemps.
La guerre se ferait encore pour deux ans, peut-être trois ans même.
Il faut nous préparer à passer tout ce temps.
Tu ne fais rien pour ça, je ne suis pas content
Ça ne fait rien, je t’aime.
Ainsi s’est terminée cette tranche de vie,
Ainsi s’est terminé sur du papier jauni, cet échange de lettres
Que j’avais découvert au détour d’un été
Sous les tuiles enfuies d’une maison fanée, au coin d’une fenêtre.
Dites-moi donc pourquoi ça s’est fini si tôt.
Dites-moi donc pourquoi, au village d’en haut
Repassant en voiture,
Je n’ai pas regardé le monument aux Morts
De peur d’y retrouver, d’un ami jeune encore, comme la signature.
Maxime Le Forestier, 1975