Le chemin

Voyageur, tes traces
sont le chemin, rien de plus ;
Voyageur, il n’y a pas de chemin,
Le chemin se crée en marchant.
En marchant on crée le chemin,
et en jetant le regard derrière soi
on voit le chemin que jamais
il ne faudra fouler à nouveau.
Voyageur, il n’y a pas de chemin
rien que des sillages sur la mer.

Antonio Machado

Poême

Je suis mort parce que je n’ai pas le désir,
Je n’ai pas le désir parce que je crois posséder,
Je crois posséder parce que je n’essaye pas de donner ;
Essayant de donner, on voit qu’on n’a rien,
Voyant qu’on n’a rien, on essaye de se donner,
Essayant de se donner, on voit qu’on n’est rien,
Voyant qu’on est rien, on désire devenir,
Désirant devenir, on vit.

René Daumal (1908-1944) – Mai 1943

J’arrive où je suis étranger

    Rien n'est précaire comme vivre
    Rien comme être n'est passager
    C'est un peu fondre comme le givre
    Et pour le vent être léger
    J'arrive où je suis étranger

    Un jour tu passes la frontière
    D'où viens-tu mais où vas-tu donc
    Demain qu'importe et qu'importe hier
    Le coeur change avec le chardon
    Tout est sans rime ni pardon

    Passe ton doigt là sur ta tempe
    Touche l'enfance de tes yeux
    Mieux vaut laisser basses les lampes
    La nuit plus longtemps nous va mieux
    C'est le grand jour qui se fait vieux

    Les arbres sont beaux en automne
    Mais l'enfant qu'est-il devenu
    Je me regarde et je m'étonne
    De ce voyageur inconnu
    De son visage et ses pieds nus

    Peu a peu tu te fais silence
    Mais pas assez vite pourtant
    Pour ne sentir ta dissemblance
    Et sur le toi-même d'antan
    Tomber la poussière du temps

    C'est long vieillir au bout du compte
    Le sable en fuit entre nos doigts
    C'est comme une eau froide qui monte
    C'est comme une honte qui croît
    Un cuir à crier qu'on corroie

    C'est long d'être un homme une chose
    C'est long de renoncer à tout
    Et sens-tu les métamorphoses
    Qui se font au-dedans de nous
    Lentement plier nos genoux

    O mer amère ô mer profonde
    Quelle est l'heure de tes marées
    Combien faut-il d'années-secondes
    A l'homme pour l'homme abjurer
    Pourquoi pourquoi ces simagrées

    Rien n'est précaire comme vivre
    Rien comme être n'est passager
    C'est un peu fondre comme le givre
    Et pour le vent être léger
    J'arrive où je suis étranger

        Louis Aragon