La rose et le réséda

 

https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/afe01000681/la-rose-et-le-reseda

La rose et le réséda

à Gabriel Péri et d’Estienne d’Orves
comme à Guy Môquet et Gilbert Dru

Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l’échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Qu’importe comment s’appelle
Cette clarté sur leur pas /
Que l’un fut de la chapelle /
Et l’autre s’y dérobât /
Celui qui croyait au ciel /
Celui qui n’y croyait pas /
Tous les deux étaient fidèles /
Des lèvres du cœur des bras /
Et tous les deux disaient qu’elle /
Vive et qui vivra verra /
Celui qui croyait au ciel /
Celui qui n’y croyait pas /
Quand les blés sont sous la grêle /
Fou qui fait le délicat /
Fou qui songe à ses querelles /
Au cœur du commun combat /
Celui qui croyait au ciel /
Celui qui n’y croyait pas /
Du haut de la citadelle /
La sentinelle tira /
Par deux fois et l’un chancelle /
L’autre tombe qui mourra /
Celui qui croyait au ciel /
Celui qui n’y croyait pas /
Ils sont en prison Lequel /
A le plus triste grabat /
Lequel plus que l’autre gèle /
Lequel préfère les rats /
Celui qui croyait au ciel /
Celui qui n’y croyait pas /
Un rebelle est un rebelle /
Deux sanglots font un seul glas /
Et quand vient l’aube cruelle /
Passent de vie à trépas /
Celui qui croyait au ciel /
Celui qui n’y croyait pas /
Répétant le nom de celle /
Qu’aucun des deux ne trompa /
Et leur sang rouge ruisselle /
Même couleur même éclat /
Celui qui croyait au ciel /
Celui qui n’y croyait pas /
Il coule il coule il se mêle /
À la terre qu’il aima /
Pour qu’à la saison nouvelle /
Mûrisse un raisin muscat /
Celui qui croyait au ciel /
Celui qui n’y croyait pas /
L’un court et l’autre a des ailes /
De Bretagne ou du Jura /
Et framboise ou mirabelle /
Le grillon rechantera /
Dites flûte ou violoncelle /
Le double amour qui brûla /
L’alouette et l’hirondelle /
La rose et le réséda /

Louis Aragon, Mars 1943

Melocoton

Colette Magny – Melocoton « Melocoton et Boule dOr

Deux gosses dans un jardin … Melocoton, où elle est Maman ? J’en sais rien; viens, donne-moi la main Pour aller où ? J’en sais rien, viens Papa il a une grosse voix Tu crois quon saura parler comme ça ? J’en sais rien ; viens, donne-moi la main Melocoton, Mémé elle rit souvent Tu crois quelle est toujours contente ? J’en sais rien ; viens, donne-moi la main Perrine, elle est grande, presque comme Maman Pourquoi elle joue pas avec moi ? J’en sais rien ; viens, donne-moi la main Christophe il est grand, mais pas comme Papa Pourquoi ? J’en sais rien ; viens, donne-moi la main Dis Melocoton, tu crois qu’ils nous aiment ? Ma petite Boule dOr, j’en sais rien Viens… donne-moi la main »

Poëme

Encore un peu
Et nous verrons les amandiers fleurir
Les marbres briller au soleil
La mer, les vagues qui déferlent.
Encore un peu
Élevons-nous un peu plus haut.

Georges Séféris (Smyrne, Grèce, 1900-1971) – Traduit du grec par Jacques Laccarière

Biancaluna

C’é una luna questa sera
che la tocchi con le mani
lentamente, lentamente s’avvicina
e si srotola dal cielo
è un gomitolo di lana
è un gomitolo di luna che cammina
Grande luna nella sera
e sopra i tetti di Torino
tutti gatti per la strada far mattina
che si deve festeggiare
questa notte un po’ speciale
c’è la luna, Biancaluna che cammina

Biancaluna sotto il cielo
e sulle antenne di Milano
non l’avevi vista mai così vicina
per chi nasce questa notte
certo porterà fortuna
sarà figlio, sarà il figlio della luna

Grande luna così grande
che la sfiori con le mani
lentamente, lentamente si allontana
e si arrotola nel cielo
è un gomitolo di lana
è un gomitolo di luna che cammina

e si arrotola nel cielo
è un gomitolo di lana
è un gomitolo di luna ballerina.

Artist: Gianmaria Testa
Album: Lampo
Année: 1999
Titre: Biancaluna

J’ai couru longtemps…

P1000602-v1

J’ai couru longtemps pour me rattraper. J’avais beau m’essouffler, je n’y arrivais pas. Et puis un jour, je me suis assis au bord de la route pour m’attendre et, quand je suis passé, j’ai marché sans hâte à côté de moi, du même pas que moi-même. Depuis, je suis très calme.

Claude Roy (1915-1997) – Le Rivage des jours 1990-1991 (1992)

Nuit attend

Si l’aube se levait, je te perdrais
et à tes bras m’accrocherais
comme une liane
si un train venait à siffler
il me poignarderait
et mon cœur s’anéantirait

Nuit attend !
Nuit attend . . . un instant (encore)
car à l’aube, un amour va s’éteindre

Nuit lance …
Nuit lance … des éclairs
que je ne puisse voir son ombre s’évanouir

Si l’aube se levait, je te perdrais
et à tes bras m’accrocherais
comme une liane

les aiguilles ne s’arrêteront pas
et tous les mots que tu me disais
l’aube les emportera
Mes larmes ne te retiendront pas
puisqu’un autre amour
loin de moi, tu as trouvé

Nuit attend !
Nuit attend . . . un instant (encore)
car à l’aube, un amour va s’éteindre

Nuit lance …
Nuit lance … des éclairs
que je ne puisse voir son ombre s’évanouir

Si l’aube se levait, je te perdrais
et à tes bras m’accrocherais
comme une liane

Litsa Diamanti, 1972

António Ramos Rosa – Poème (1960)

Je ne peux remettre l’amour à un autre siècle
je ne peux pas
même si le cri s’étrangle dans ma gorge
même si la haine éclate crépite brûle
sous des montagnes grises
et des montagnes grises

Je ne peux ajourner cette étreinte
qui est une arme au double tranchant
d’amour et de haine

Je ne peux rien ajourner
même si la nuit pèse des siècles sur mes épaules
même si tarde l’aurore indécise
je ne peux remettre ma vie à un autre siècle
ni mon amour
ni mon cri de libération

Non je ne peux ajourner le cœur.

António Ramos Rosa – Poème (1960)

Est-ce ainsi que les hommes vivent

Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c’est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m’éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j’ai cru trouver un pays.
Cœur léger cœur changeant cœur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes nuits
Que faut-il faire de mes jours
Je n’avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m’endormais comme le bruit.
C’était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d’épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j’y tenais mal mon rôle
C’était de n’y comprendre rien
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Dans le quartier Hohenzollern
Entre La Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un cœur d’hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m’allonger près d’elle
Dans les hoquets du pianola.
Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke.
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.
Elle était brune elle était blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faÏence
Elle travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n’en est jamais revenu.
Il est d’autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t’en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton cœur
Un dragon plongea son couteau
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent

Louis Aragon, Le Roman inachevé